Instance nationale en charge des droits humains et genre : intérêt et approche
La Commission nationale des droits de l’homme en Côte d’Ivoire n’est pas inactive sur les questions de genre, d’égalité de chance entre l’homme et la femme et de leadership féminin dans ce pays. Son approche consiste, dans la mise en œuvre de son mandat, à apporter des réponses idoines à la question de la sensibilisation, du plaidoyer et du partage de connaissance des droits des femmes en Côte d’Ivoire. D’ailleurs, elle vient de publier, récemment, le 3 novembre 2021 un manuel des droits des femmes et des jeunes filles, avec le concours du Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant. Ce document est un outil stratégique qui permet d’évaluer l’étendue et la pertinence des informations recensées relativement à la situation des femmes et des jeunes filles en Côte d’Ivoire. Il met également en lumière les efforts consentis par la Côte d’Ivoire en matière de ratification d’instruments internationaux de promotion et de protection des droits de l’homme, d’une manière générale, mais plus spécifiquement, ceux protégeant les femmes et les jeunes filles.
Les organisations ivoiriennes de défense des Droits de l’Homme que sont la Ligue Ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO), le Mouvement Ivoirien des Droits Humains (MIDH) et l’Association des Femmes Juristes de Côte d’Ivoire (AFJCI) joignent également leurs efforts aux initiatives de promotion du genre et de défense des droits des femmes et des jeunes filles. Ces organisations initient bien souvent des séances d’auditions et d’enquête sur le terrain afin des documenter des faits attentatoires aux droits des femmes. Elles produisent des rapports périodiques sur les faits documentés pour attirer l’attention des autorités, et font régulièrement des recommandations en vue de mesures correctives à prendre. Toutes ces initiatives ont ceci de pertinent qu’elles replacent la question du genre au cœur des priorités de politique publique en Côte d’Ivoire. Elles ont le mérite de montrer que l’équité et l’égalité entre hommes et hommes, sont bien à la portée des autorités qui doivent redoubler d’efforts et prendre les mesures nécessaires pour en faire une réalité.
Cas de violences sexuelles
Les violences sexuelles, surtout les viols, prennent des proportions inquiétantes en Côte d’Ivoire. La pandémie de Covid 19 semble avoir engendré une hausse des viols. C’est le même constat fait par l’Organisation citoyenne pour la promotion et la défense des droits des enfants, des femmes et des minorités CPDEFM). Dans son rapport 2020, cette organisation souligne que le manque de données précises participe à l’invisibilisation de ces femmes, une autre forme de violence dont elles sont victimes. En juin 2020, cette organisation a réalisé une enquête sur les violences faites aux femmes et aux jeunes filles pendant la pandémie de Covid-19 et a rendu public ses résultats le mardi 15 juin 2021. L’enquête a été réalisée dans les communes populaires du district d’Abidjan, à savoir : Abobo, Anyama, Attécoubé, Koumassi, Treichville, Yopougon. Elle s’est intéressée aux femmes et aux hommes dans leur quotidien et en période de Covid-19. Cette enquête inédite a été réalisée auprès d’un échantillon de 5556 personnes (soit 3414 femmes et 2142 hommes, de tous les âges, couches socio-culturelles et situations matrimoniales. Lors de l’enquête, il a été demandé aux enquêtés s’ils avaient connaissance de faits de violences et non pas si elles avaient subis. Les sondés ont témoigné de plus de 2000 cas de violences faites aux femmes, dont 1290 cas de mariage de filles de moins de 18 ans et 1121 viols. L’enquête a relevé un pic de violences sexuelles pendant la période de restriction imposée par la pandémie de Covid-19. Le rapport souligne qu’il y a eu plus de viols du fait de la fermeture des écoles. Il signale que 416 féminicides ont été enregistrés en 2019 et 2020. A titre de comparaison, sur la même période en France, 236 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex. Jusqu’ici, ce crime (le terme « féminicide » n’est pas rentré dans le langage courant) n’avait pas fait l’objet d’étude en Côte d’Ivoire, parce qu’il a la particularité d’être le plus silencieux et que les personnes interrogées ont beaucoup de difficultés à se confier. Autre fait notable : la victime d’un viol est encore largement, dans la conscience populaire, responsable de ce qui lui est réservé. La plupart des hommes interrogés dans le cadre de l’enquête de la CPDEFM justifient les viols par des attitudes ou des vêtements qu’ils jugent provocants. Il subsiste ici l’idée que la femme l’a cherché. Les victimes sont d’ailleurs souvent culpabilisées et reçues avec beaucoup de légèreté dans les commissariats quand elles souhaitent porter plainte. La police conditionne encore régulièrement l’enregistrement de la plainte à la délivrance d’un certificat médical, même si un arrêté ministériel stipule que les femmes n’ont pas à l’exiger. Ce certificat médical, facturé 50 000 francs cfa (76 euros) n’est généralement à la portée des victimes en situation de précarité.
Par ailleurs, bien que punie par la loi en Côte d’Ivoire, l’excision est encore répandue, et pas seulement dans les zones reculées du pays. L’enquête recense 828 cas à Abidjan en 2020. L’absence de poursuites judiciaires ou la condamnation à des peines légères ne dissuadent pas les auteurs et ne permettent pas d’éradiquer le phénomène. Une précédente étude de CPDEFM (2019) avait révélé que 70% des femmes à Abidjan sont victimes de violences conjugales. Même si des efforts ont été faits, notamment avec la création d’un comité national de lutte contre les violences basées sur le genre, les pouvoirs publics ne semblent pas avoir pris la pleine mesure de ce fléau et de ses conséquences sur les victimes.
Disponibilité de données sexo-spécifiques
En Côte d’Ivoire, les femmes subissent des pratiques discriminatoires qui les maintiennent dans une situation de vulnérabilité. Leur faible accès à la propriété foncière, dans un pays où la majorité de la population vit de l’agriculture, réduit leur accès au crédit et leurs capacités à entreprendre des activités économiques durables permettant de générer des revenus. Elles ne sont pas mieux loties dans l’administration publique et privée. Malgré la mise en place de structures en charge de la promotion et de la protection des droits de la femme, la Côte d’Ivoire est à la 136e place de l’indice d’inégalité de genre selon le classement du PNUD 2019 en matière d’indicateur sexo-spécifique du développement humain (ISDH). Le pays a pourtant ratifié plusieurs conventions internationales et régionales proclamant l’égalité en dignité et en droit de tous les citoyens. S’il existe presque une égalité de droit entre les hommes et les femmes, il reste beaucoup à faire pour que cela soit effectif. Les consultations de la Banque mondiale sur le genre en Côte d’Ivoire ont donné l’opportunité à des femmes de Côte d’Ivoire, qu’elles soient des zones urbaines ou rurales, de s’exprimer sur les préoccupations spécifiques à leur environnement.
Sur la base d’investigations très fouillées, le rapport note, en substance, que de janvier à mai 2018, sur 1120 entreprises enregistrées, 147 d’entre elles appartiennent à des femmes (entreprises individuelles) et elles font partie des dirigeants et/ou des associés de 69 autres. Sur la question des élus, l’on enregistre notamment chez les conseillers municipaux, 85, 03% d’hommes et 14,97% de femmes. Chez les conseillers régionaux, 88,67% d’hommes et 11,33% de femmes. Concernant le taux d’alphabétisation, les femmes de 15 à 24 ans représentent 36,81% contre 56,09 chez les hommes. La moyenne nationale du taux d’alphabétisation des 15-24 ans, pendant la période de l’enquête de la Banque mondiale est de 46, 52%. S’agissant du domaine de l’éducation, sur un total de 2975, 897 élèves inscrits à l’école primaire, et ayant l’âge compris entre 4 et 13 ans, il y a 44% de filles. Dans l’enseignement secondaire 1, où l’âge est compris entre 9 et 17 ans, les filles représentent 38% des effectifs contre 61% chez les garçons. Au niveau de l’enseignement secondaire 2, où la tranche d’âge varie de 14 ans à 23 ans, il y a 35% de filles et 64% de garçons. Il apparait dans ces indications que les inégalités de genre persistent à plusieurs niveaux.
Présence des femmes dans les instances de prévention et de gestion de conflits
Les femmes sont présentes dans les instances de prévention et de gestion des conflits. Elles sont relativement actives au sein de ces instances. Elles ont été les premières, dans le cadre de l’OFEP, à se présenter en zone assiégée à Bouaké en janvier 2003, pour parler aux rebelles d’alors devenus forces nouvelles, en vue de rechercher des solutions à la paix.
Il existe aujourd’hui en Côte d’Ivoire quelques instances qui travaillent à l’implication des femmes dans les processus de prévention et de gestion des conflits. Il s’agit notamment de la plateforme panafricaine des femmes et des jeunes pour la paix (2PFJ), de l’Organisation des femmes d’Éburnie pour la Paix, de l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire «AFJC » etc.
Ces instances travaillent à la participation des femmes à tous les niveaux de prise de décision concernant la prévention des conflits et les processus de paix, l’accroissement du rôle des femmes dans les initiatives de paix et de cohésion sociale, la valorisation des processus endogènes de négociations, de prévention et de gestion des conflits etc.
Elles œuvrent également à une meilleure représentativité des femmes dans ces processus. La solidarité est cependant très faible entre associations et ONG féminines impliquées dans les processus de prévention et de gestion des conflits. Elles ont du mal à émerger et à s’imposer parmi les organisations de la société civile. Elles manquent souvent de confiance en leurs capacités à assumer entièrement leurs rôles en termes de prise de conscience et de force de propositions capables d’inverser les tendances.